Pablo Avendaño, des rêves et des souvenirs. Gwennaêlle Gribaumont.

Des paysages fantasmés côtoient des scènes d’intérieur d’une beauté surannée. Un univers intimidant.
Sans céder aux clichés d’un monde post-apocalyptique, Pablo Avendaño imagine une terre en pleine renaissance. Tout y semble réinitialisé. Volcans majestueux et menaçants ponctuent ces paysages, symboles d’un équilibre précaire entre destruction et création. L’artiste lui-même explique : “Un nouveau départ dans un monde si jeune où les chiens ne savent pas encore aboyer. La Purge, la grande remise à zéro, le beau plaisir de la tabula rasa. Et c’est maintenant que la figure de Hieronymus Bosch apparaît, bien que j’évite ses psychomachies, ces luttes entre vertus et péchés, parce que dans tels paysages, de telles choses n’existent pas encore. On est bien dans une pensée plus primitive que celle de Hieronymus : il n’y a pas encore des règles.”
Reconnaissant sa parenté avec Jérôme Bosch, Pablo Avendaño revendique son inscription dans la tradition des Primitifs flamands, dont il reprend non seulement la palette chromatique, mais également la portée symbolique. Certaines zones de ses toiles, couvertes d’un réseau de craquelures délicates, rappellent irrésistiblement l’aspect des œuvres anciennes, comme pour tisser un dialogue subtil avec le passé. Cette résonance est renforcée par une réinterprétation d’Adam et Ève qui établit des passerelles évidentes avec la grande tradition artistique.
Intérieurs inquiétants
Mais Pablo Avendaño ne s’arrête pas là. Si ses paysages cosmiques impressionnent par leur portée onirique, ses scènes d’intérieur, elles, captivent par leur théâtralité quasi cinématographique. Rideaux rouges, planchers patinés et lumières tamisées composent ces espaces d’une atmosphère mystérieuse, évoquant à la fois les vieux cinémas et les décors d’opéra. Le peintre poursuit : “Ces vieux palais et salles de théâtre – comme le Clärchens Ballroom à Berlin ou le Grand Foyer du Radio City Music Hall à New York –, autrefois pleins de foules et de vie, sont ici représentés dans un calme post-tumultueux, saturés d’histoires accumulées et de significations cachées […].”
Pourtant familiers, ces décors semblent plongés dans une temporalité étrange, oscillant entre passé, présent et éternité. Pablo Avendaño ajoute : “Les personnages sont souvent trop grands ou trop petits, formant une sorte de cortège qui peut évoquer les donateurs dans la peinture classique. Ces distorsions visuelles défient l’équilibre idéal, ébranlent la hiérarchie de la perception conventionnelle et plongent le spectateur dans un état d’étrangeté.” Cette manipulation des échelles, conjuguée à l’absence de repères temporels clairs, invite à une immersion contemplative, où les souvenirs fragmentés se mêlent à des rêves figés.
La lumière, omniprésente, accentue cette atmosphère troublante. Souvent tamisée ou filtrée, elle sculpte les scènes, jouant habilement avec le clair-obscur pour renforcer la dramaturgie. Raconteur d’histoires, Pablo Avendaño chamboule nos certitudes et nos attentes, bousculant les repères habituels. Les personnages, énigmatiques, apparaissent tels des visiteurs ou spectateurs d’une scène où ils semblent étrangers, presque effacés, comme des figurants perdus dans une intrigue dont ils ignorent les contours.
Ces œuvres résonnent comme une métaphore directe de la “fenêtre” théorisée par Leon Battista Alberti dans De Pictura(1435). L’humaniste italien décrivait la peinture comme une fenêtre ouverte sur le monde, une surface à travers laquelle l’artiste construit une image fidèle de la réalité en suivant les règles de la perspective. Chez Pablo Avendaño, cette idée trouve une nouvelle expression : ses tableaux deviennent des portails vers d’autres dimensions, des fenêtres ouvertes, non pas sur le réel, mais sur des visions alternatives de notre monde. Ces univers oscillent entre le tangible et l’imaginaire, laissant ouvertes toutes les interprétations.